Titre : Lower Manhattan Wrapped Buildings, Project for 2 Broadway, 20 Excahnge Place, 1990
Lithographie en couleurs (atténuées en bleu) avec collage de tissu, fil, plan de ville (papier de riz japonais Chine-collé), et ruban de masquage, avec ajouts de fusain, prisma-color, et crayon, sur papier Arches Cover monté sur Museum Board. 102 x 66 cm
Signée, datée et n°43/125
Provenance : Collection particulière, Paris
VENDU
Christo Vladimirov Javacheff 1935 Gabrovo (Bulgarie) 2020 New York – Jeanne-Claude Denat de Guillebon 1935 (Casablanca) 2009 New York
Christo Vladimirov Javacheff, jeune dessinateur bulgare réfugié à Paris où il arrive en 1958 rencontre la même année Jeanne-Claude Denat de Guillebont alors qu’il réalise des portraits de sa famille. Le couple collabore pour la première fois en 1961et réalise Stacked Oil Barrets ans Dockside Packages (empilements de barils et des empaquetages de gros rouleaux de papier) dans le port de Cologne, la ville où Christo vient de faire sa première exposition personnelle, galerie Haro Lauhus.
Alors qu’il gagne sa vie en portraiturant la grande bourgeoisie, il expérimente ses premiers essais d’emballage et développe ses premiers Empaquetages à partir de 1960. L’artiste a lui-même raconté la genèse d’un processus créateur qui vaut comme engagement. En 1961, indigné par la construction du mur de Berlin, il simule pour la première fois l’emballage d’un bâtiment par un collage photographique accompagné d’un commentaire précisant qu’au delà du bâtiment c’est « une prison ou un Parlement ». Il concrétise son désir l’année suivante à Paris en érigeant illégalement en une nuit, rue Visconti, un mur de barils tel un rideau de fer en résonnance avec le mur de Berlin. Une intervention éphémère, terme auquel Christo et Jeanne-Claude préfèrent celui de temporaire, identitaire du principe dont le couple gardera la trace par la transcription graphique et photographique pour un témoignage pérenne. « Tous nos grands projets ont été nomades et fragiles : tout naît, disparaît et n’est plus jamais là ». L’idée du nomadisme prend tout son sens avec l’idée de plier, de replier, référence au voyage d’où l’emploi de tissus, de voiles, de ficelles et cordages que l’on retrouve dans les dessins au crayon, fusain, pastel, crayon à bille, papier cartonné, augmentés de ruban adhésif, cordeau, laque, métal, bois, agrafes et glu et autres collages mixtes qui sont autant de médiums maîtrisés correspondant à deux étapes distinctes de l’empaquetage. Soit le projet proprement dit est de l’ordre d’une maquette et prépare l’exploit interventionniste dans la nature, il est alors le support à une expérience momentanée qui convoquera l’imaginaire et la sensibilité du public piqué dans sa curiosité, soit le dessin, la lithographie et la photographie rehaussées rendent compte et gardent pour l’histoire l’exploit de chacune des interventions dans le monde (Valley Curtain, Rifle, Colorado, 1972 ; Wrapped Walk Ways avec 12 000 m2 de tissu polypropylène rose dans les allées du Jacob Loose Park de Kansas City, Missouri, 1978) qui nécessitent une main-d’œuvre internationale, des équipes spécifiques, des ingénieurs.
Des premiers objets empaquetés aux dessins préparatoires destinés aux emballages in situ va se construire une œuvre graphique emblématique dont rend compte l’exposition.
Les premières recherches du couple Christo, leurs réflexions sur les matériaux pauvres et objets manufacturés participent à la fin des années cinquante de celles d’Alberto Burri, Antoni Tapies, Dubuffet, Lucio Fontana, des prédécesseurs du Pop Art américain Rauschenberg, Jasper Johns et des Nouveaux Réalistes mouvement auquel l’intègre Pierre Restany. Si Christo participe en 1963 à une exposition collective, fréquente Tinguely, Yves Klein, Villéglé, il ne veut pas se laisser enfermer dans un courant et recherche d’abord sa liberté de création. La démarche est esthétique dans une recherche de beauté et d’interaction avec le public.
Il gardera le désir d’empaqueter des objets depuis cette pièce unique réalisée en 1963 Wrapped Magazines et comme en témoignent des projets postérieurs non réalisés et restés souvent à l’état graphique. Wrapped Armchair (1990), lithographie et sérigraphie avec collage de tissu, jute, polyéthylène transparent, ficelle et agrafes avec ajouts noirs de jet d’ébène ; Paquet sur Radio Flyer Wagon (1993) rehaussé de collage de tissu et ajouts de crayon sur papier tissé. Si la forme peut être identifiée, l’imaginaire est sollicité pout une interprétation autre.
Cette première étape porte en germe les futurs projets hors normes pour des réalisations in situ qui excèdent rarement deux semaines. D’où l’importance en amont d’une œuvre parallèle, la seule qui subsiste, constituée d’esquisses, de croquis préparatoires, collages, dessins pour documenter chaque projet. Tout est pensé jusqu’au moindre détail pour une création qui demande souvent des années de négociations et de préparation. Ce qui explique et justifie le rôle d’un corpus graphique, unique témoin d’une œuvre en perpétuel mouvement, et destiné à perpétuer un souvenir après sa disparition. Fait rare dans un couple d’artistes, Christo associe toujours le prénom de Jeanne-Claude au sien, son alter ego, pour signer les projets, même après le décès de son épouse.
C’est l’idée du voyage qui incline Christo et Jeanne-Claude à s’ouvrir à une pratique architecturale à grande échelle et d’une façon quasi-obsessionnelle. Elle s’inscrit dans un courant artistique apparu fin des années 1960 et qui privilégie les textiles. Dès 1962-63 Christo est attiré par l’Arc de Triomphe qu’il voit des fenêtres de son atelier. Son volume aux lignes régulières le fascine. Il matérialise son image dans un photomontage quadrangulaire. Suivront de très nombreux dessins, collages, maquettes d’œuvres préparatoires dont la vente permettra les fonds nécessaires à l’empaquetage. Celui de l’Arc de Triomphe devait l’être au moment de l’exposition rétrospective au Centre Pompidou. Le décès de Christo quelques semaines avant son inauguration ne l’a pas permis.
Il y a aussi les projets restés en l’état comme ceux pour l’avenue des Champs Elysées à Paris (1992) dont une lithographie en couleurs coloriée à la main et collage est ici montrée, et une autre avec polyéthylène, ficelle et agrafes : Wrapped Trees. Autre projet évoqué dans l’exposition : celui pour le canal de Suez 10 Million Oil Drums Wall (1967-1972), ainsi que Arkansas river, Etat Colorado (1996), pastel, crayons de couleur sur papier accompagné de photos du lieu et d’une carte géographique.
Parmi les projets réalisés, une technique mixte ( Photographie en couleur, crayon de couleur, craie de couleur et carte topographique ) de 1991 conserve la réalisation de l’emballage du Reichstag à Berlin (1995).
Paris n’a pas oublié l’emballage du Pont Neuf (1985) qui compte parmi les événements spectaculaires d’une pratique qui n’a pas son équivalent et dont la singularité tient au dialogue entre les deux artistes. En 1964, le couple s’était installé à New York à Manhattan. L’ultime emballage, Christo le réalisera en 2016, sans Jeanne-Claude décédée en 2009. Il s’agit du projet de relier plusieurs îles du lac italien d’Iseo par des plates-formes flottantes jaune orangé, et celles pour les îles de la baie de Biscayne, à Miami, encerclées de bâches fuschsia (1983) établissant un pont symbolique entre le Japon et la Californie.
Survivre et se protéger, deux quêtes qui s’inscrivent dans une durée factuelle pour deux artistes bâtisseurs architectes et poètes.
Lydia Harambourg