Joseph Beuys (1921-1986)

Titre : Objekt zum Schmieren und Drehen

Boîte en fer blanc, graisse lubrifiante, tournevis, peinture à l’huile et boîte en verre avec cadres en bois.

Signé et numéroté 98/100. Réalisé en 1972.

Hauteur : 19,5 cm, longueur : 29,1 cm, profondeur : 17,1 cm.

 

Provenance :

Galerie Anders Tornberg, Lund, Suède

 

Joseph Beuys, avec Objekt zum Schmieren und Drehen (1972), propose un objet singulier qui s’inscrit pleinement dans sa démarche d’élargissement du champ sculptural. L’œuvre se compose d’une petite vitrine en bois et verre, à l’intérieur de laquelle repose un récipient métallique marqué d’une croix rouge, muni d’un manche rouge évoquant un outil de mélange ou d’application, accompagné d’une feuille posée à plat.

Le titre, littéralement « objet pour graisser et tourner », évoque un geste technique, voire industriel, mais détourné ici de toute fonction réelle. Le simple fait de placer cet objet dans une vitrine le fait basculer de l’usage vers la contemplation, du banal vers le rituel. Beuys, fidèle à sa démarche, investit des matériaux modestes – ici le métal, le manche en plastique, le contenant – d’une puissance symbolique. La graisse, bien que non visible ici mais probablement suggérée, est l’un de ses matériaux fétiches. Elle renvoie à la chaleur, au soin, à la survie – autant de notions centrales dans son récit mythique personnel, notamment autour de son prétendu sauvetage par des Tatars durant la guerre.

La croix rouge peinte sur le récipient renforce cette dimension de soin, d’urgence, voire de guérison. Mais l’objet n’est pas un outil médical ni un ustensile fonctionnel : c’est une sculpture mentale. L’outil devient ici un dispositif de pensée, un catalyseur. L’association des mots « schmieren » (enduire, graisser) et « drehen » (tourner) peut aussi évoquer des gestes cycliques, presque alchimiques, où l’action manuelle devient métaphore d’un processus intérieur.

En plaçant cet « outil » sous verre, Beuys le sanctuarise. Il l’arrache à son contexte pour en faire un symbole, un déclencheur de réflexion. L’œuvre ne livre pas un message univoque ; elle ouvre plutôt un espace d’interprétation. C’est en cela qu’elle participe de la « sculpture sociale » chère à Beuys : une œuvre qui ne se réduit pas à un objet esthétique, mais qui engage une transformation – potentiellement politique, spirituelle ou poétique – chez celui qui la rencontre.